Un franc-maçon parmi d’autres

Vers mes 18 ans, à la veille de commencer mes études de pharmacie, deux camarades qui avaient déjà entamé leurs études supérieures et qui commençaient à s’intégrer en tant que citoyens dans le monde des adultes, m’incitèrent à assister à des conférences qui se déroulaient à la mairie d’Amiens.

Dès 18 ans j’ai assisté à des rencontres avec des Francs-maçons

La première avait pour thème l’Anarchisme dont les principes furent décrits par un de ses adeptes, philosophie politique qui me semblait proche du socialisme dans la version qui avait été présentée.

La seconde, la Franc-Maçonnerie présentée par le Grand Maître du Grand Orient de France (GODDF) de l’époque. Inutile de préciser que je ne connaissais rien de ces deux univers et que j’avais tout à découvrir.

Je ne retins que peu de choses de ces deux conférences bien qu’il en restât malgré tout quelques germes au fond de mon esprit.

Une association d’hommes qui s’appelaient tous Frères

La Franc-Maçonnerie m’apparut comme une association d’hommes qui s’appelait « frères » entre eux, qui découlait du compagnonnage pour l’aspect opératif et qui s’était développé au plan spéculatif.

Mes connaissances sur le sujet et mon intérêt en restèrent là pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que, lors de mon séjour en Nouvelle-Calédonie pour raisons professionnelles, un camarade, pharmacien militaire comme moi, me parla à nouveau du sujet en me confiant qu’il était Franc-Maçon de la Grande Loge Nationale de France (GLNF).

Une cooptation dans une première obédience que je refuse

Il m’en dit bien davantage que lors de la conférence à laquelle j’ai assisté quelques décennies plus tôt et, me montrant intéressé par la démarche, il souhaita me coopter pour que je sois initié dans sa loge. Un des frères de son atelier le rejoignit quelque temps plus tard pour que nous reprenions la discussion et approfondir mes motivations et mon aptitude à les rejoindre.

Au cours de la discussion, on me parla des Landmark en me précisant que le premier, lors de l’initiation, consistait à prêter serment sur la Bible.

Comme je suis athée, je pensais qu’à mes yeux, cela constituait une forme de parjure puisque je conteste la sacralité de ce texte rendant ainsi le serment sans valeur. Je refusai donc d’aller plus loin dans ma démarche.

Île phare Amédée, Nouvelle-Calédonie

C’est finalement une obédience mixte qui va m’accueillir

Quelque temps plus tard, le Grand Maître du Grand Orient de France (GODF) s’était rendu en Nouvelle-Calédonie pour donner à Nouméa une conférence sur son obédience.

Ma fille et ma femme y assistèrent et, un collègue de travail de cette dernière s’enquit de sa présence et lui posa la question : « En es-tu ? ». Surprise, elle lui demanda l’objet de sa question et il lui dit : « Es-tu Franc-Maçonne ? ». Elle ne l’était pas, enfin… pas encore.

Elle apprit donc que si le Grand Orient de France (GODF) était, à l’époque, spécifiquement masculin, il existait une obédience exclusivement féminine et des obédiences mixtes comme le Droit Humain (DH) à laquelle le collègue de mon épouse appartenait.

Lorsqu’elle me rapporta ces informations, il me sembla avoir trouvé ma voie, mais comme nous devions rentrer en métropole, notre séjour ayant pris fin, nous décidâmes de remettre à plus tard ce projet.

En fait, c’est mon épouse qui frappa la première à la porte d’un temple du Droit Humain et c’est quand, après un an de présence dans sa loge, elle me confia être satisfaite de son choix, qu’à mon tour j’entrepris les démarches.

Il faut dire que j’avais entre-temps eu des contacts avec les membres de sa loge puisque je les rejoignais à l’issue de leurs travaux pour partager leurs agapes.

Un partage de la vie maçonnique en couple

C’est ainsi qu’en 2001, je fus initié dans une loge du Droit Humain. Je poursuivis mon chemin aux côtés de mon épouse qui garda une longueur d’avance dans la progression, Apprenti, Compagnon puis Maître.

Je pus ainsi apprécier de partager avec elle cette expérience de recherche d’approfondissement de soi que nous avions certes déjà entreprise avant notre engagement maçonnique mais que ce dernier enrichit encore.

Nous retournâmes périodiquement en Nouvelle-Calédonie, dans un premier temps pour de courts séjours afin de retrouver notre fils qui s’y était installé, puis pour des séjours de six mois, et ce pendant trois ans.

Au cours de ces séjours nous avons pu visiter les loges de Nouméa dans les quatre obédiences qui étaient représentées (Grand Orient, Droit Humain, Grande Loge Féminine de France et Grande Loge de France) mais aussi dans une loge du Grand Orient au nord de la Nouvelle-Calédonie, à Koné.

Ces visites sont riches d’enseignements car selon les obédiences, les rituels et les traditions diffèrent et sont un enrichissement.

La fraternité calédonienne est bien réelle

Je pense en particulier à une loge du Grand Orient de France (GODF) à Nouméa qui regroupe autant de membres d’origine caldoche que de Mélanésiens, fraternité multiculturelle qui favorise le vivre ensemble.

A propos du rituel. Les réunions s’appellent des tenues, et elles ne se déroulent pas de façon anarchique comme on peut le voir sur les plateaux de télévision lors des débats.

La prise de parole est ordonnée et le nombre d’interventions pour un même membre est limité pour que chacun puisse s’exprimer.

Mais revenons-en à mon parcours.

Après 12 années au Droit Humain, et après avoir visité nombre de fois des loges du Grand Orient de France (GODF), j’ai éprouvé le besoin de rejoindre une loge de cette obédience, sans pour autant renier mon appartenance initiale puisqu’il est permis d’avoir une double affiliation.

Une double affiliation

J’ai alors rejoint une des loges du GODF, loge à ce jour toujours masculine, où j’ai été accueilli avec chaleur et fraternité par les frères qui l’animent.

A aucun moment je n’ai regretté mon choix, et je me partage entre mes deux ateliers à raison de quatre tenues par mois.

Ainsi je suis à la fois dans la mixité et en milieu masculin, encore que les visiteuses des loges mixtes ou féminines soient acceptées sans aucune restriction.

Être en maçonnerie implique un travail sur soi, entreprise déjà commencée fort heureusement avant notre adhésion à la maçonnerie, mais qui dans ce contexte particulier est un plus indéniable d’autant que c’est un des buts essentiels de ce parcours, à savoir  s’améliorer et porter à l’extérieur les valeurs de liberté, égalité et fraternité qu’on y développe.

Ce travail s’effectue par une introspection personnelle qui prend en compte non seulement le regard que l’on porte sur soi mais aussi celui de ceux et celles qui nous entourent et qui sont un miroir qui nous renvoie le reflet de leur perception à notre endroit.

Il y a aussi au sein d’une loge, mais étendu à l’ensemble des Francs-Maçons de toutes loges, de toutes obédiences et à l’ensemble de l’humanité un devoir de solidarité.

Un idéal utopique et tellement beau

L’idéal maçonnique est certes utopique, puisqu’il a pour projet le progrès de l’humanité, vaste et ambitieux programme dans un monde aussi complexe et divisé que le nôtre.

Ainsi, outre ce travail sur soi énoncé plus haut, sont menées des réflexions sociétales sur notre monde.

Le symbolisme, qui n’est étranger à aucune société, des plus primitives aux plus technologiquement élaborées, est également étudié pour enrichir ces réflexions.

Franc-Maçon depuis maintenant vingt ans, je ne regrette en rien cet engagement, qui s’appuie sur des serments auxquels on doit être fidèle.

Un engagement maçonnique et citoyen

Cet engagement ne s’oppose en rien à notre citoyenneté ni aux devoirs que cette qualité implique comme à tout un chacun. La Franc-Maçonnerie a un but noble et généreux qui rassemble des hommes et des femmes qui s’interrogent sur le monde dans lequel nous vivons.

Elle fait abstraction des dogmes de toutes natures, politiques ou religieux afin de garder une pensée libre.

c’est, depuis le XVIIe siècle, où elle a vu le jour dans la continuité des bâtisseurs de cathédrale, une forme d’humanisme exempte de sectarisme et de tout extrémisme.

Elle est un havre de tolérance et de réflexion qui s’appuie sur la tradition et l’écoute de l’autre, ce dernier élément étant élément indispensable à tout échange serein.

Octobre 2020

Jean-Louis