La franc-maçonnerie, société initiatique née il y a trois siècles, unit des personnes libres et de bonnes mœurs travaillant à l’amélioration de ses membres et au progrès de l’humanité. Historiquement, cette société était exclusive masculine, laissant les femmes à l’écart de ses pratiques et mystères. Cependant, au cours du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie s’est ouverte aux femmes à travers la création de loges d’adoptions, réservées aux femmes mais pas encore égales à celles des hommes. Puis, au XIXe siècle, apparaît la franc-maçonnerie mixte, permettant aux hommes et aux femmes de collaborer dans l’édification symbolique de l’humanité.

Un enjeu pour la franc-maçonnerie : accueillir plus de femmes dans les loges.

Cet article explore l’évolution de la mixité en franc-maçonnerie, qui a généré débats et controverses parmi ses membres. Nous examinerons son influence sur la pratique maçonnique et son rôle en tant que défi et chance pour la franc-maçonnerie contemporaine.

Historique de la mixité en franc-maçonnerie

L’apparition des premières loges mixtes

La présence des femmes en franc-maçonnerie remonte au XVIIIe siècle avec les loges d’adoption supervisées par des loges masculines. Ces loges d’adoption, conçues pour les femmes, associaient la mythologie à la symbolique féminine. La première loge d’adoption française, attestée à Bordeaux vers 1740, est déjà adossée à une loge masculine.

La maçonnerie des dames est reconnue en 1774 par le Grand Orient de France, qu’il considère toujours comme accessoire et récréative et ne pouvant se pratiquer qu’en dehors des vraies tenues maçonniques réservées aux hommes.

Toutefois, certaines femmes aspirant à plus d’égalité se sont fait initier clandestinement au sein de loges masculines, affrontant les tabous de l’époque. Maria Deraismes, pionnière de ce mouvement, fut initiée le 14 janvier 1882 et c’est au côté du docteur George Martin, qu’elle constitua en 1893 la Grande Loge Symbolique Écossaise de France – Droit Humain, la première obédience mixte.

Oppositions et évolutions au sein des obédiences

La mixité en franc-maçonnerie déclencha la réprobation des obédiences traditionnellement masculines, qui arguaient que cela enfreignait les us et coutumes maçonniques. Ces dernières ne reconnurent pas les initiations féminines et coupèrent les ponts avec les loges les reconnaissant. Il faut attendre 2010, après de multiples débats, pour que le Grand Orient de France, la plus grande obédience française, accepte l’initiation des femmes dans ses loges.

En parallèle, les obédiences féminines émergeant au début XXe siècle, comme la Grande Loge Féminine de France, (GLFF) se montrèrent réceptives à la mixité et établirent des relations fraternelles. Ces dernières permirent à femmes et hommes de collaborer tout en respectant leur affiliation originelle.

Le Droit Humain – Ordre Maçonnique Mixte International (DH), obédience entièrement mixte créée en 1901 qui se substitue à la Grande Loge Symbolique Écossaise de France – Droit Humain de 1813, la Grande Loge Mixte Universelle (GLMU), créée en 1973, et la Grande Loge Mixte de France (GLMF) créée en 1982, sont les principales obédiences à avoir promu et promouvoir la mixité dans la paysage maçonnique Français.

La mixité à l’internationale : un panorama global

La pratique de la mixité varie d’un pays à l’autre selon les traditions et les  contextes culturels. On distingue principalement trois grands espaces de franc-maçonnerie : anglo-saxonne, latine et nordique.

Le franc-maçonnerie anglo-saxonne

La franc-maçonnerie anglo-saxonne, incarnée par la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), est majoritairement masculine. Reconnue pour son influence mondiale, elle exige de ses membres une croyance en un être suprême et interdit les débats politiques ou religieux en loge. Son rayonnement touche bien sur la Grande Bretagne, les USA et le Commonwealth et la GLUA reconnait maintenant une obédience par pays.

C’est en 1902, qu’une première loge mixte voit le jour au sein du Droit Humain et en 1913 que se crée la première obédience féminine anglaise « The Honorable Fraternity of Ancient Freemasonry », (H.F.A.F).

Le franc-maçonnerie d’Amérique latine

La franc-maçonnerie latine a été associée aux luttes pour l’indépendance des pays d’Amérique du sud et est restée longtemps sous influence espagnol ou portugaise.
C’est une franc-maçonnerie beaucoup plus hétérogène, ouverte aux femmes et à la mixité avec des obédiences variées. Elle s’est construite en intégrant des influences venues de pays étrangers pour former une synthèse proprement locale. La franc-maçonnerie libérale est plutôt d’inspiration française et notamment du Grand Orient de France qui a marqué durablement les loges sud-américaines

Elle accueille croyants comme non-croyants et encourage les discussions sur les questions sociétales. Sa présence est notable en Europe du Sud, en Amérique latine et en Afrique francophone.

Le franc-maçonnerie nordique

La franc-maçonnerie nordique est majoritairement masculine, elle privilégie un rite chrétien connu sous le nom de rite suédois, elle requiert une intégrité morale de ses adhérents. Les obédiences mixtes y sont très minoritaires mais présentes dans les pays scandinaves (Finlande, Suède, Norvège) en Allemagne mais aussi au Danemark et en Islande et dans les pays Baltes (Estonie, Lituanie).

L’impact de la mixité sur la pratique maçonnique

Modifications rituelles et symboliques

L’introduction de la mixité en franc-maçonnerie entraîne des changements rituels et symboliques essentiels pour accueillir les femmes au sein de la tradition initiatique. Ces modifications portent sur plusieurs aspects, comme le langage utilisé – « frère » peut devenir « sœur » ou « frère et sœur ». Les signes de reconnaissance sont revus pour maintenir leur signification tout en évitant des malentendus. De même, certains gestes tactiles, traditionnellement pratiqués lors de l’initiation, sont soit omis soit transformés en symboles non physiques. Les éléments décoratifs du temple maçonnique intègrent désormais des symboles féminins tels que la lune, la rose, ou la colombe. Même la trousse à outils du maçon s’enrichit avec l’ajout d’éléments renvoyant à la féminité tels que le miroir ou le fuseau.

Les enjeux de la mixité sur la vie de la loge

La pratique mixte en franc-maçonnerie influence profondément le quotidien des loges, où hommes et femmes collaborent en tant que francs-maçons. Elle touche des aspects clés tels que la fraternité, l’enseignement, la diversité et l’unité. La fraternité se trouve renforcée grâce à la mixité, celle-ci favorisant l’écoute et la compréhension entre les membres. La transmission du savoir doit s’ajuster pour intégrer la dimension de réciprocité et d’échange qu’apporte la mixité. La valorisation des différences, reflétée par la diversité au sein des loges, s’en trouve enrichie, élargissant ainsi les horizons. Enfin, la cohésion au sein de la loge, qui représente son harmonie interne, doit être cultivée au-delà des idées reçues et des stéréotypes à travers la mixité.

Témoignages et perceptions des membres sur la mixité

Les avis sur la mixité au sein de la franc-maçonnerie sont aussi divers que les membres eux-mêmes, certains applaudissant l’initiative et d’autres exprimant des réserves. Ceux qui sont favorables à la mixité partagent souvent des sentiments de joie et considèrent cette évolution comme une chance d’enrichissement personnel et collectif, leur offrant des occasions de progresser et de s’engager dans des dialogues ouverts. A contrario, d’autres ressentent un certain inconfort, voyant la mixité comme une source de distraction ou de remise en question des valeurs et de l’esprit de la franc-maçonnerie traditionnelle.

La mixité : enjeu d’avenir pour la franc-maçonnerie

L’homme et la femme à égalité

Les défis contemporains de la franc-maçonnerie paritaire

La mixité en franc-maçonnerie revêt une importance stratégique dans l’adaptation aux défis actuels de l’organisation, notamment en matière de reconnaissance, représentation, communication et transmission. La reconnaissance par d’autres obédiences reste précaire pour les loges mixtes ou féminines, souvent marginalisées ou non acceptées, surtout par les loges masculines traditionnellement anglo-saxonnes. Ces mêmes obédiences peinent à être visibles socialement, entravées par des stéréotypes et des discriminations. En termes de communication, leur voix reste modérée, cherchant encore sa place dans le débat public. Quant à la transmission des traditions maçonniques, elle affronte l’épreuve de rester pertinente face à de nouvelles formes de sociabilité et d’apprentissage spirituel.

La place des femmes dans les hautes sphères maçonniques

Dans le contexte de la mixité, la présence féminine au sein des rangs élevés de la franc-maçonnerie est un sujet brûlant. Les femmes demeurent sous-représentées au sein des hautes instances maçonniques, rares dans l’obtention de hauts grades rituels ou de rôles prestigieux. Cette réalité découle d’un héritage traditionnel, d’un manque de confiance, de défis liés à l’équilibre vie professionnelle- vie personnelle – vie familiale, et parfois de l’opposition des hommes. Pour évoluer vers une égalité effective, il est essentiel de mettre en place des mesures de parité, d’améliorer la formation, de reconnaître les accomplissements et de renforcer la solidarité entre les sœurs maçonnes.

Le rôle de la franc-maçonnerie mixte dans le débat social actuel

La franc-maçonnerie mixte est appelée à jouer un rôle significatif dans la sphère sociale, marquée par les défis de la parité des sexes, de la diversité, de la laïcité et de la démocratie. Elle doit promouvoir les principes maçonniques de liberté, d’égalité, de fraternité, de tolérance, de solidarité, de dignité, de justice et de paix. En outre, elle doit contribuer par des réflexions et des propositions concrètes pour aborder les difficultés, les crises et les tensions touchant la société. Finalement, elle doit démontrer, par une collaboration exemplaire entre hommes et femmes, l’enrichissement mutuel que procure le respect des différences et la valorisation de la complémentarité.

Conclusion

L’interaction entre hommes et femmes au cœur de la franc-maçonnerie est un thème captivant et complexe, mettant en lumière les progrès, les conflits et les désirs tant au sein de la communauté maçonnique qu’au sein de la société en général. Il est évident que le concept de mixité remonte au XVIIIe siècle et a traversé des périodes de résistance et d’évolution, caractérisées par une grande variété d’approches. Il est également clair que la mixité influence significativement la pratique maçonnique et nécessite d’ajuster les rituels, les symboles et l’organisation.

Ce sujet représente également un défi pour l’avenir de la franc-maçonnerie, qui doit affronter les questions de réputation, de représentativité, de communication et de préservation de son héritage, tout en jouant un rôle proactif dans les débats contemporains.

Pour ceux qui s’intéressent à la mixité en franc-maçonnerie, nous vous suggérons de vous informer sur les différentes obédiences mixtes ou féminines, d’explorer la littérature et les publications dédiées à ce sujet, d’échanger avec des francs-maçons et franc-maçonnes qui œuvrent dans la mixité, et éventuellement, d’envisager votre propre initiation au sein d’une loge mixte. C’est l’occasion de vivre une aventure humaine exceptionnelle, pleine d’enrichissement et de dynamisme, qui contribuera à votre épanouissement personnel et spirituel.

Le Guide